R.I.P. Rocky… et changement de plan

Dans cet article :

Lac Wye, Watson Lake – Juillet 2022. © Kelly Tabuteau

Jour 25 (25 juillet 2022) : Le « vrai » grand départ

Aujourd’hui, je quitte le Yukon pour quelques mois. Je suis excitée, mais aussi un peu anxieuse. L’inconnu m’appelle tout comme il m’effraie. Ces premières semaines sur la route m’ont cependant prouvé que j’étais capable de faire ce road-trip seule et cela me rassure quelque peu.

Vers 8 h, je repasse par mon ancien chez moi (j’ai des locataires en or) pour faire une lessive, prendre une douche, charger quelques affaires que j’avais laissées dans le bureau, et faire mon plein d’eau. Puis direction le vétérinaire pour Ouna, le massothérapeute pour moi, et c’est parti pour une grosse journée de conduite, direction le Sud et l’Est, sur la route de l’Alaska.

Je n’ai que rarement pris cette route dans cette direction, une seule fois en fait, en septembre 2018 lors de notre traversée avec mon ex-Fisherman. Passé Jake’s Corner, je redécouvre des paysages oubliés. J’arrive rapidement à Teslin où je ne marque pas d’arrêt, et continue encore plus d’une heure avant une première pause aux chutes Rancheria. Ce ne sont pas les plus impressionnantes, mais la marche d’un kilomètre aller-retour nous permet de nous dégourdir les jambes et les pattes.

Il nous reste 130 kilomètres pour rejoindre Watson Lake, la troisième plus grande ville du territoire avec, en 2016, 790 habitant·e·s. Sur place, je me gare près de la célèbre Forêt de panneaux indicateurs, un labyrinthe miniature de plus de 80 000 panneaux dont l’origine remonte à 1942 lorsqu’un soldat américain, Carl Lindley, érigea un panneau en hommage à sa ville natale, Danville, en Illinois.

Nous nous dirigeons d’abord vers le lac Wye où un joli sentier nous attend. Il n’y a personne et je comprends vite pourquoi : la saison des moustiques n’est pas finie et ils sont nombreux à attendre la première personne qui oserait s’aventurer dans le coin. Je suis obligée de courir pour rejoindre la route et tenter de leur échapper. Ah, maudits moustiques ! Nous marchons vite sur le bord de la route, loin du lac donc, mais ils s’accrochent à nous. Ces bestioles qui envahissent sans cesse ma bulle d’intimité me tapent sur les nerfs, c’est à en devenir folle… Après quelques centaines de mètres, j’ai l’impression de les avoir semés et je respire à nouveau plus calmement. Nous terminons notre boucle par un passage dans la Sign Post Forest avant de reprendre la route pour quelques kilomètres.

J’avais repéré une courte marche sur l’application AllTrails pour aller voir un canyon situé juste à la sortie de Watson Lake. Je m’enduis d’anti-moustiques, je spray Ouna aussi et nous nous élançons sur un large sentier sablonneux. À mesure que nous avançons, les moustiques se font plus nombreux et je ne profite pas de la marche. J’avance vite en tentant de garder la bouche fermée pour ne pas avaler d’insectes. Arrivée au canyon, je suis déçue car la vue est loin d’être extraordinaire… Il faut dire aussi qu’il est difficile de battre le canyon Lapie aperçu pendant notre excursion sur la South Canol Road. Quoi qu’il en soit, la sortie ne valait vraiment pas la peine, surtout quand il y a autant de moustiques.

Ce n’était pourtant pas le pire… Mais pour vous donner une idée de ce qui se passe quand on s’arrête deux minutes pour prendre une photo… Combien de moustiques comptez vous ?

De retour à la voiture, je roule encore trente minutes – je suis désormais en Colombie-Britannique –, jusqu’à un endroit où passer la nuit. Lui aussi est infesté de moustiques, alors je passe les premières minutes à tuer ceux qui sont entrés pendant que je préparais Rocky pour la nuit et me couche de bonne heure.

Jour 26 (26 juillet 2022) : Incident de parcours

Une fois n’est pas coutume, nous ne prendrons pas notre petit déjeuner ici tellement que le lieu regorge de moustiques. Je laisse Ouna vaquer à ses occupations pendant que je prépare Rocky pour une nouvelle journée de route. Les portes ainsi ouvertes, les bestioles envahissent l’espace. Je ne m’attarde pas trop ! Ouna grimpe dans la voiture et je démarre, il est à peine 7 h du matin. Nous mettons le cap sur le lac Muncho où nous passerons quelques jours pour randonner.

Malgré les fenêtres ouvertes, beaucoup de moustiques virevoltent dans la voiture. Ça a le don de m’agacer. Je crois avoir atteint ma limite de bébêtes s’immisçant dans mon espace. Je tente tant bien que mal de les chasser.

Je me concentre alors sur deux gros, gorgés de sang, juste devant moi, si bien que je ne porte plus aucune attention à la route. Quand mes yeux se posent à nouveau sur la chaussée, la voiture a dévié sur la gauche et je m’approche, à 100 km/h du fossé. Je panique, freine, donne un coup de volant et perds le contrôle du véhicule.

Tout est ensuite allé très vite. Je ne me souviens pas avoir eu peur, seulement m’être dit que j’allais me planter. Une « chance », il n’y a aucune voiture en cette heure matinale, je me planterai donc toute seule. Je fais plusieurs virages, puis quitte la route, fais un tonneau (ou plusieurs… ça remue mais je perds le fil de ce qui est en train de se passer). Puis la voiture finit par s’arrêter.

J’ai à peine le temps de faire le bilan de mon état qu’Ouna saute sur mes genoux puis par la fenêtre dorénavant inexistante. Je ne me pose pas plus de questions, détache ma ceinture, galère pour ouvrir ma porte et sors du véhicule.

Une fois dehors, j’appelle Ouna qui s’était éloignée de la voiture. Elle accourt, la queue entre les jambes. J’essaye de la rassurer tout en l’examinant. À part le choc, elle a l’air en bonne santé. J’imagine que je le suis aussi. Je remarque un peu de sang sur mon t-shirt et réalise que j’ai quelques coupures très superficielles sur l’avant-bras. Quelques éclats de verre sont aussi entrés dans mon soutien-gorge, lacérant légèrement mon sein droit.

Je retourne vers la voiture, c’est un carnage, tout est sens dessus dessous… le road-trip est fini… et je réalise à quel point Ouna et moi avons été chanceuses. Rocky a rempli à la perfection son rôle, celui de protéger ses occupantes, mais pour cela, il a dû donner de sa personne…

Je cherche mon InReach, mon appareil de communication lorsque je suis hors réseau téléphonique. Je n’arrive pas à le localiser. Je ne sais pas s’il est dans la voiture ou s’il a été éjecté… Je récupère alors la laisse d’Ouna et vais attendre qu’une voiture passe.

Quelques minutes plus tard, un couple s’arrête, puis une autre voiture avec deux employés du gouvernement fédéral. Le couple s’occupe d’Ouna tandis que Mike m’examine et Roby reprend la route pour déterminer où l’accident a eu lieu (kilomètre 873, route de l’Alaska).

Tout s’enchaîne ensuite. Je retourne vers Rocky pour récupérer mon sac à dos, mon portefeuille, mon ordinateur et des croquettes pour Ouna. Ainsi chargées, Ouna et moi embarquons avec Roby et Mike qui nous conduisent à Watson Lake. Sur le siège arrière de la voiture, je laisse couler les larmes silencieusement. De tension, de peur, de déception, de tristesse, de joie. Tant de sentiments contradictoires m’habitent.

De retour en « ville », les deux hommes me déposent au commissariat. Je les remercie chaleureusement pour leur aide. Ils reprennent la route alors que je commence les démarches administratives : rapport d’accident à la police, discussion avec l’assurance, organisation du remorquage de Rocky, puis planification de mon retour à Whitehorse.

J’apprends qu’il existe une navette entre Watson Lake et Whitehorse, la prochaine partant le lendemain matin. Il me faudra donc rester ce soir à l’hôtel. Le premier que j’appelle est complet, mais je trouve une chambre pour Ouna et moi au deuxième coup de téléphone. Ce sera le Big Horn Hotel. Je cherche alors un taxi pour me rendre du commissariat à l’hôtel : ce n’est pas très loin, mais j’ai le sac de croquettes de 10 kg d’Ouna qui n’est pas très pratique à porter.

Je ne trouve aucun numéro de téléphone sur Google et retourne donc au commissariat. L’officier me propose de me déposer à l’hôtel, ce que j’accepte. Arrivée sur place, j’explique ma situation et le service de ménage s’occupe de ma chambre en priorité, si bien qu’à 11 h, je peux prendre possession de mes quartiers.

Une fois installée, je remarque une petite plaie près de mon œil gauche et décide d’aller à l’hôpital pour être certaine de ne pas avoir des micro bouts de verre dans l’œil. Ouna et moi marchons donc les deux kilomètres qui nous séparent de l’hôtel et je suis rapidement prise en charge par un docteur alors qu’Ouna attend sagement dehors. Il m’ausculte de partout et me confirme que je n’ai aucun éclat de verre dans les yeux.

De retour à l’hôtel, je prends une bonne douche et m’allonge enfin, réalisant difficilement tout ce qui vient de se passer. Il est à peine 14 h, je suis fatiguée – physiquement et mentalement –, mais je n’arrive pas à dormir.

Vers 16 h, l’entreprise de remorquage m’annonce que Rocky est de retour à Watson Lake. Je pars donc récupérer quelques affaires essentielles. Je ne peux pas prendre tout ce que j’aimerais puisque 1/ je n’ai pas assez de bras par moi-même, 2/ je suis limitée en bagages pour la navette demain. Il faudra donc que je revienne si jamais l’assurance décide de ne pas remorquer la voiture jusqu’à Whitehorse situé à plus de 400 kilomètres de là.

J’essaye de garder un sourire de façade… Nous allons bien, c’est l’essentiel !

Ouna et moi nous collons l’une à l’autre sur le lit, je n’arrive toujours pas à dormir mais entendre sa respiration, lente et régulière, m’apaise.

Jour 27 (27 juillet 2022) : Retour à la case départ

J’ai finalement réussi à m’endormir tôt ce matin, mais clairement, je n’ai pas dormi assez. La navette part à 7 h. Grâce à la réceptionniste de l’hôtel, j’avais réservé, la veille, un taxi pour 6 h 30. Nous sommes en avance. Ouna semble un peu perturbée et se demande ce que nous faisons dans ce parking.

Le minibus arrive vers 6 h 45. Nous nous y installons à l’arrière et attendons le départ. Il y a 5 h de route et nous somnolons pour passer le temps.

À Whitehorse, mon amie Marie-Claude vient me récupérer en centre-ville pour me déposer à mon ancien chez moi, qui va redevenir un peu chez moi pour les jours à venir. Après discussion avec mes locataires, nous avons trouvé un accord : je vais squatter le bureau le temps de me retourner.

Et ce temps va dépendre de l’assurance qui doit envoyer un expert à Watson Lake pour déterminer si Rocky est réparable. Je n’ai qu’à attendre patiemment que ma conseillère me tienne au courant…

Jour 28 (28 juillet 2022) : Vingt-six mille idées à la seconde

Je suis perdue, déboussolée… j’ai perdu mon Nord… Si physiquement, tout va bien, j’ai du mal à encaisser la situation. J’essaye de rester positive, mais le moral flanche, jouant au yo-yo. Que faire maintenant ? Repartir tout de suite sur la route ? Se poser un peu à Whitehorse ? Changer de plan complètement ?… Les idées fusent là-haut, le hamster tourne vite dans sa roue et ne semble pas vouloir s’arrêter.

Le carnet de route, lui, va se mettre en pause pour quelques jours, voire quelques semaines. Je vais prendre ce temps pour digérer ce qui vient de se passer, pour profiter d’Ouna et de mes ami·e·s d’ici, pour décider que faire maintenant.

2 réflexions sur “R.I.P. Rocky… et changement de plan

  1. Ravie que tu n’as rien, toi et la chienne.
    Effectivement cela aurait pu être bien plus grave.
    Heureusement ce n’est que du matériel.
    Repart sur le périple que tu voulais faire.
    Ne chasse plus les moustiques.
    Gros bisous.

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    1. Oui, j’ai appris ma leçon… je laisse les moustiques tranquille !
      J’ai repris la route le 20 août, avec un périple plus court ce que j’avais en tête, mais je profite à fond.
      À suivre dans les prochaines semaines 😉
      Bises, Willy !

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