Excursion sur la voie ferrée des chercheurs d’or

Jadis ville sans foi ni loi, Skagway survit aujourd’hui grâce à l’industrie touristique.

L’été, des immenses navires accostent au port de Skagway, déversant des milliers de voyageurs dans les rues de la petite ville américaine. La rue Broadway s’anime à nouveau après plusieurs mois d’hivernation : les boutiques de souvenirs dépoussièrent leurs stocks de marchandises, les restaurants se réapprovisionnent, et le terminal de la voie de chemin de fer White Pass and Yukon Route fourmille d’employés qui s’activent en tous sens pour reprendre du service. Et quel service ! Grâce à une organisation bien huilée, la compagnie promet un bond d’une centaine d’années dans le passé avec une immersion totale au cœur de la ruée vers l’or du Klondike. Rien que cela ? Bah oui, il faut bien attirer le visiteur lambda et le convaincre de dépenser la coquette somme de 130 dollars américains pour une virée de 2 h 30 jusqu’au col White. Pourtant, l’attraction est loin d’être un piège à touristes. Même s’il y a beaucoup de monde à bord de ce train mythique, l’excursion n’en demeure pas moins incontournable tant elle est magique. Tellement magique même que je l’ai déjà faite trois fois depuis que je suis installée à Whitehorse.

La première fois, c’était en achevant la piste Chilkoot. Pour rejoindre ma voiture laissée au point de départ de ma randonnée, après avoir marché 53 kilomètres entre Dyea et le lac Bennett (une première option pour les prospecteurs états-uniens de l’époque souhaitant rejoindre la ville de Dawson), je devais monter à bord du fameux train historique. Je me souviens d’un voyage retour surréaliste, sous la pluie et avec des nuages si bas, que l’atmosphère qui se dégageait du canyon de Skagway était presque mystique. La lenteur du train m’a permis de profiter pleinement des paysages du sentier du col White (la deuxième option pour les chercheurs d’or américains qui voulaient se rendre à Dawson). J’ai tellement apprécié le trajet que je me suis promis de revenir avec mon Fisherman.

Presqu’un an plus tard, mon Fisherman et moi décidons de nous offrir des vacances à Juneau, la capitale de l’Alaska. Nous devons nécessairement aller à Skagway puisque le ferry nous emmenant à destination part d’ici. Nous voyons là une belle occasion de nous offrir une excursion à bord du train des chercheurs d’or. Cerise sur le gâteau, tous les ans, pendant le week-end de trois jours de la Fête de la Reine, les Yukonnais peuvent se procurer le billet d’accès au train pour la modique somme de 40 $ canadiens. À ce prix-là, c’est certain que nous n’allons pas nous priver ! Mon Fisherman est tout excité à l’idée de découvrir cette merveille d’acier et de bois. Il faut dire que sa famille travaille dans le domaine ferroviaire depuis des décennies, alors il se sent plus que concerné par les prouesses techniques de l’époque pour parvenir à bâtir une voie de chemin de fer au cœur des montagnes.

Dimanche 20 mai 2018, 7 h du matin. Après une nuit humide en tente, nous retrouvons notre couple d’amis Jennifer et Guillaume, accompagné d’Emmanuelle, et c’est ensemble que nous nous préparons à vivre cette aventure. Malgré la fatigue, l’impatience se lit sur le visage de chacun. La météo s’annonce grincheuse mais cela n’enlève rien à notre excitation. Un bus nous attend au terminal de la White Pass and Yukon Route pour nous emmener un kilomètre plus loin, où nous pouvons enfin apercevoir le train. Un des employés de la compagnie nous indique dans quelle voiture monter et nous voilà projetés quelques dizaines d’années en arrière. À peine assis, le train se met en branle et notre voyage commence.

Comme lors de ma première expérience, les nuages sont bas, masquant certains sommets et glaciers environnants, mais l’expérience n’en demeure pas moins fantastique. Sur notre droite, la montagne. De notre siège, nous n’y percevons que la roche ; parfois, une ouverture laisse apparaître une chute d’eau. Sur la gauche, le canyon de Skagway, surplombé par de majestueux sommets enneigés, défile sous nos yeux émerveillés. Parfois, la neige fait place à un glacier d’altitude. Magnifique ! Je réalise encore une fois à quel point l’être humain est minuscule devant l’immensité de la nature, encore sauvage, que nous traversons. Notre voyage est ponctué d’interventions de notre capitaine de bord, nous relatant l’histoire du train et des lieux que nous franchissons. Alors que Jennifer, Emmanuelle et mon Fisherman restent dans la chaleur du wagon, Guillaume et moi nous aventurons sur la passerelle extérieure à l’avant de notre voiture pour prendre quelques photos… enfin des centaines de photos… C’est tellement beau !

Le train poursuit sa lente ascension, traversant deux tunnels et franchissant plusieurs ponts. Après avoir parcouru 32 kilomètres depuis son point de départ, il atteint le col White, à une élévation de 883 mètres. L’horizon change radicalement à mesure que notre périple continue vers Fraser, la première « ville » canadienne. Le panorama à 360° qui s’offre à nous est à couper le souffle ; montagnes côtoient lacs d’altitude et sapins nains.

Enfin, nous arrivons à Fraser où nous devons descendre du train afin que nos passeports soient contrôlés. Après une courte pause, nous pouvons remonter à bord de notre voiture pour le trajet retour. Mon Fisherman s’endort, bercé par le mouvement du train. Jennifer, Guillaume, Emmanuelle et moi refaisons le monde, non sans quitter des yeux les paysages qui défilent au rythme des kilomètres. En sens inverse, les perspectives sont différentes, si bien que nous n’avons pas l’impression de revoir exactement la même chose. Arrivés à Skagway, nous partageons un repas thaïlandais à StarFire et nos chemins se séparent. Nos amis retournent à Whitehorse alors que nous attendons notre ferry pour Juneau.

Samedi 18 mai 2019, profitant toujours du week-end où les billets sont en réduction pour les Yukonnais, mon Fisherman et moi retentons l’expérience, cette fois-ci accompagnés de Cristo et Jordan, un couple d’amis de mon amoureux nous rendant visite depuis l’Ontario. Pour le coup, ce sont un beau soleil et un ciel bleu qui nous accueillent pour notre virée à bord du train historique. Les reliefs semblent transformés avec cette nouvelle luminosité, si bien que nous avons l’impression de vivre une aventure complètement nouvelle.

« Le train de la vie, c’est un petit train, qui va des montagnes de l’ennui aux collines de la joie. » Le Train de la vie, Gilbert Bécaud.

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