Tutshi Bend Ridge

Aujourd’hui, je ne suis pas seule pour explorer l’arrière-pays canadien. Techniquement je ne suis jamais seule puisqu’Hazel et Ouna sont toujours de la partie, mais bon, vous comprenez ce que je veux dire, non ? Nous avions jeté notre dévolu sur une crête surplombant le lac Tutshi. Sur le papier, la randonnée n’avait pas l’air trop difficile : 9 kilomètres pour 870 mètres de dénivelés positifs. Pourtant le site Internet Yukon Hiking (ma référence absolue depuis que j’habite à Whitehorse) la classifie difficile. En lisant la description du sentier, nous comprenons vite pourquoi : nous allons devoir emprunter plusieurs sections abruptes sur un sol instable… mais la vue s’annonce magnifique alors nous ne sommes pas découragés par si peu.

Céline, Éloïse, Marie-Claude et Vincent ont campé non loin du départ la veille. Je les rejoins donc en voiture le samedi matin. J’emprunte une des mes routes préférées, la South Klondike Highway sur une petite centaine de kilomètres. Elle serpente directement au pied des montagnes en longeant plusieurs lacs et en offrant des panoramas à couper le souffle. Au fur et à mesure que j’approche du départ, après avoir quitté le Yukon pour entrer en Colombie-Britannique, je remarque une « petite » crête (elle semble presqu’insignifiante au cœur des mastodontes environnants) parsemée de roches rouges et ocres et que je devine être notre destination finale.

À 9 h 30, la troupe est réunie et nous nous mettons en marche le long d’une large route de véhicules tout terrain. Rocailleuse et poussiéreuse, elle s’élève tranquillement. Ce n’est certainement pas mon type de terrain préféré mais il a l’avantage de nous permettre d’avancer à un bon rythme. Il fait déjà chaud, je sens les gouttes de sueur fraîches coulées le long de mes joues brûlantes, tout comme les grains de poussière qui viennent s’y coller. Après un peu plus d’un kilomètre et demi, nous devons couper à travers la végétation dense pour rejoindre la crête. Buissons, arbustes et hautes herbes nous attendent. Notre visibilité est réduite à néant et nous faisons un maximum de bruit pour prévenir les éventuels ours de notre présence. À cinq humains et deux chiennes, la rencontre inopinée est peu probable mais sait-on jamais… Être au pays des ours, c’est porter attention constamment à ce qui nous entoure. (D’ailleurs, si ce sont vos premières fois à randonner dans cette région, je vous invite à (re)lire cette brochure pour en apprendre plus sur les ours et sur les comportements à adopter en cas de rencontre infortune).

Il a plu la veille si bien que la végétation est toujours gorgée d’eau. Bataillant avec de nombreuses branches, nous sommes vites trempés. Le sol est glissant, ça grimpe raide et ce n’est pas évident avec des chaussure mouillées… Plus rapidement que nous le pensions cependant, nous en avons fini avec le bush-walking. Après quelques passages à la limite de l’escalade, nous nous retrouvons au pied de la crête et je suis déjà sous le charme. Le lac Tutshi se dévoile devant nous, sur 180°. C’est grandiose ! De là, nous continuons notre ascension sur un sol aux couleurs du sang jusqu’à nous retrouver nez à nez avec un mur vertical. C’est là que nous devons traverser le fameux éboulis.

Vincent essaye de trouver un chemin au milieu des roches rouges et ocres. ©Kelly Tabuteau

Sur notre droite, donc, nous nous élançons sur un amas de roches instables, d’abord transversalement, puis, verticalement pour rejoindre la crête. Céline ne semble pas très rassurée. Je dois avouer que je ne suis pas en confiance non plus. Nous surplombons le lac mais dans ce passage technique, nous n’avons pas vraiment le temps de contempler les paysages tellement que nous sommes concentrés sur l’endroit le moins pire où poser nos pieds. Le passage paraît long et interminable mais toute chose considérée, nous évoluons relativement vite.

Une fois sortis de l’éboulis, nous n’avons qu’à suivre la crête jusqu’au sommet. Alors à découvert, le vent vient nous titiller et à l’horizon, nous observons des nuages menaçants se rapprocher. Il ne nous reste que quelques centaines de mètres pour atteindre notre objectif. Là, enfin, nous pouvons nous arrêter pour déjeuner mais aussi pour souffler et prendre le temps de nous imprégner du lieu. Que c’est beau, que c’est beau, que c’est beau. Je ne sais combien de fois je me répète cette phrase dans ma tête (et parfois pas que dans ma tête d’ailleurs…). Autour de nous, des montagnes à 360°, certaines toujours recouvertes de neige. En contrebas, le lac Tutshi et Windy Arm d’un côté ; de l’autre, un ruisseau qui s’écoule depuis les hauteurs lointaines.

Nous voilà sur la crête. Y’a plus qu’à. ©Kelly Tabuteau
Au loin sur la gauche, Paddy Peak, une de mes prochaines randos. ©Kelly Tabuteau

Nous sommes donc tranquillement assis, profitant de ce beau moment, les nuages remplis de pluie passant à côté de nous mais non au-dessus lorsque Vincent sort de sa torpeur : « Nous pourrions aller jusqu’au sommet en face ». Les quatre filles, nous nous regardons, tentant d’interpréter cette phrase : « Euh… est-il sérieux ou plaisante-t-il ? ». Car le sommet en face a l’air d’être loin et surtout haut ! Mais non, Vincent ne plaisante pas. Il est vraiment tenté de pousser un peu plus loin nos pas. Céline et Marie-Claude répondent rapidement sans elles. Éloïse et moi hésitons… Nous n’avons marché qu’à peine plus de 4 kilomètres, il nous reste l’énergie pour et à coup de « si tu y vas, je te suis », nous décidons d’accompagner Vincent.

Sur la gauche, le sommet d’en face depuis la crête. ©Kelly Tabuteau

Le déjeuner fini, Céline et Marie-Claude reprennent le chemin retour tandis qu’Éloïse, Vincent et moi continuons. Nous devons d’abord descendre légèrement avant de commencer une nouvelle ascension. Le tout se fait bien puisque nous sommes dorénavant sur un sol herbeux. Nous rejoignons même un sentier bien dessiné par le passage de chèvres des montagnes. En 45 minutes, nous sommes en haut de notre deuxième sommet et prenons à nouveau une longue pause. Je ne pourrai jamais me lasser de la scène qui se dévoile sous nos yeux. Si haut, je suis fascinée par Dame Nature, par sa grâce inégalable qu’elle partage sans contrepartie, par son immensité à laquelle seul le regard peut mettre des frontières, et par sa modestie sans faille. Oh, que j’aime marcher, que j’aime ces rencontres avec Dame Nature, que j’aime reconnecter avec moi-même, méditer à ma façon pour me libérer de sentiments qui parfois me tirent vers le bas.

La vue depuis le 2e sommet est plutôt pas mal. ©Kelly Tabuteau
Il y a une mini crête sur le second sommet. Éloïse est minuscule à l’autre bout ! ©Kelly Tabuteau
©Éloïse
Longue pause depuis le second sommet. ©Kelly Tabuteau

À 15 h, nous nous forçons à revenir sur nos pas. Nos foulées s’enchaînent rapidement sur ce sol facile à suivre et il ne nous faut qu’à peine une heure pour rejoindre l’éboulis. Si la montée s’était faite relativement bien malgré une légère angoisse, la descente s’annonce une toute autre paire de manches. Aucune roche n’est stable, je glisse dès que je pose un pied, je sens mes quadriceps se tétaniser et mon souffle s’accélérer. Je sais bien que cela n’est pas lié à l’effort mais davantage à la peur. Pourtant, je refuse de m’arrêter. Lentement, un pied après l’autre, une glissade après une autre, je continue. Vincent, tel un cabri, avance rapidement en tête. Éloïse, quant à elle, me suit prudemment. Elle est bien plus agile que moi, et bien moins trouillarde. Elle respecte tout de même une certaine distance de sécurité derrière moi et je suis rassurée d’être si bien encadrée. Une éternité plus tard, me semble-t-il, nous rejoignons enfin la route pour quads. Notre randonnée s’achèvera dans un peu plus d’un kilomètre et demi. Malgré une fin difficile tant mentalement que physiquement (j’ai définitivement testé les limites de ma zone de confort en rando) et des chaussures quasi-neuves presque ruinées, j’ai des étoiles dans les yeux, un sourire niais sur les lèvres et des souvenirs plein la tête !

Faut bien rentrer maintenant… ©Kelly Tabuteau
De retour sur la crête. ©Kelly Tabuteau
La descente dans les éboulis… pas une partie de plaisir ! ©Vincent
On essaye de se tenir à ce qu’il y a de stable mais dur dur ! ©Vincent

« Un instant de bonheur vaut mille ans dans l’histoire. », Voltaire.

Données techniques
12,7 km, 1.360 m de dénivelés, 8 h 29 (pauses incluses)
Faite le 27 juin 2020

Que c’est beau, que c’est beau, que c’est beau ! ©Kelly Tabuteau

2 réflexions sur “Tutshi Bend Ridge

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