Les nuits yukonnaises

 

J’aime varier le chemin que j’emprunte, car on n’est jamais à l’abri d’un spectacle magnétique.

 

Depuis mon arrivée au Yukon, je redécouvre la nuit et les fins de journée où les ombres s’allongent et le silence se répand sur Whitehorse. Il faut dire que, dans ma banlieue parisienne, me promener dans les rues, la nuit, n’était pas l’activité que je chérissais le plus : une pollution lumineuse m’empêchait de voir les étoiles, la nature n’était pas si sauvage que cela, et surtout l’insécurité environnante ne m’engageait que peu à la balade. Je ne dis pas que je vivais dans un ghetto, loin de là même, mais dans une ville où il faut faire attention, attention à tout, et à tout moment, on ne savait jamais ce qui pourrait arriver… Bref, ma vie nocturne française était proche du point mort, et j’attendais avec impatience mes vacances à la montagne pour enfin avoir une vue dégagée sur les constellations, allongée à les contempler, souvent en bonne compagnie, je refaisais le monde et me sentais plus petite qu’un grain de poussière devant l’immensité qui m’enveloppait.

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Au Yukon, ce ne sont pas que des étoiles que l’on peut observer ! ©Kelly Tabuteau

Un soir de décembre 2016, au Yukon depuis seulement quatre mois, alors que je marchais seule avec Hazel, dans une forêt, en pleine nuit et sans frontale, je me suis fait cette réflexion, empreinte d’une triste vérité : « Ce n’est pas chez moi que je ferais cela ». Car oui, chez moi, à ce moment-là, c’était encore Évry. Finalement, peut-être que l’envie de m’installer plus durablement à Whitehorse a commencé à faire son bout de chemin à partir de cette soirée, conquise par le calme qui m’entourait, interrompu seulement par le crissement de mes propres pas et la respiration haletante d’Hazel, impressionnée par le givre qui se formait sur mes cils et apaisée par les étoiles qui m’observaient depuis le ciel.

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Au retour d’une balade nocturne hivernale… ©Kelly Tabuteau

Cette nuit yukonnaise, j’ai fini par l’apprivoiser. Omniprésente la moitié de l’année, j’ai dû apprendre à vivre avec, car, avec moins de cinq heures de lumière naturelle en plein hiver, il a bien fallu s’adapter. Je n’ai jamais vraiment souffert de la noirceur ambiante. Avec un peu d’organisation et de planification, la vie continue normalement malgré tout. Vous me direz peut-être que ce n’est que mon deuxième hiver ici et que je finirai probablement par me lasser, mais moi, je n’en suis pas si convaincue.

Si les journées sont courtes et que le ciel s’assombrit dès 15 h, elles offrent très souvent une jolie luminosité et un ciel d’un bleu profond. Rien que pour cela, je pense ne jamais me décourager des longues nuits car le peu de lumière présente est d’une bien meilleure qualité que la grisaille parisienne, le vent et la pluie dont j’avais l’habitude.

 

Si les journées sont courtes, elles me donnent l’occasion d’observer de magnifiques levers et couchers de soleil à des heures totalement délirantes, offrant des couleurs variant de l’orangé au rougeâtre intense.

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Un lever de soleil, au début janvier. ©Kelly Tabuteau

Si les journées sont courtes, c’est qu’elles donnent l’opportunité aux nuits de se dévoiler, avec des spectacles à chaque fois uniques. Je m’en souviens comme si c’était hier. 25 septembre 2016, une semaine après avoir posé mes pieds sur le sol canadien, j’observais mes premières aurores boréales. Phénomène physique qui résulte de l’interaction entre des particules issues du vent solaire et des atomes de l’atmosphère, elles laissent sur leur sillage des arcs dansants. Beaucoup diront qu’à l’œil nu, on ne peut observer qu’une trainée blanche et que le vert intense n’est que le résultat d’un long temps de pose lors de la prise d’une photo. Parfois, c’est vrai, d’autres fois, non ! Dès que les aurores gagnent en intensité, le ciel s’anime et révèle une danse de couleurs vertes, mauves et roses, photo ou pas !

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Et en vrai, bien sûr, c’est beaucoup plus mieux ! ©Kelly Tabuteau

Chaque fois, c’est le même rituel : vérifier les prévisions ; surveiller la météo ; puis prendre la voiture pour me rendre compte par moi-même. Va-t-il y avoir des aurores ce soir ? L’excitation me gagne dès que j’aperçois ne serait-ce qu’une once de voile blanchâtre ou verdâtre dans le ciel (« Euh… t’es sûre que c’est une aurore et pas un nuage ? – Oui, je suis sûre ! »). Commence alors la recherche de l’endroit idéal pour s’installer. Comme une gamine devant un feu d’artifice, je jubile et saute sur place (« Oh, regarde ici comment elles dansent ! Et là-bas… et là encore. Ohhh, c’est de la folie… Ohhh, et t’as vu ici ? »). Je n’arrive pas à tenir ma langue tellement je suis agitée ! Pourtant, ce type de soirée se savoure encore mieux dans le silence. Promis, je vais m’améliorer !

 

Parfois, l’activité magnétique est tellement forte qu’il n’y a pas besoin de prendre la voiture pour les observer. Malgré la pollution lumineuse de mon quartier, elles sont visibles juste en levant les yeux vers les cieux. Celles-ci, ce sont souvent celles auxquelles je ne m’attends pas, et qui pourtant peuvent me laisser éveillée des heures et des heures. Après une soirée cocooning devant un film ou une série, Hazel a besoin de ressortir et j’avoue qu’à 22 ou 23 h, c’est parfois difficile de se motiver pour aller affronter à nouveau les températures glaciales… Une fois dehors cependant, je ne peux que la remercier. Grâce à elle, j’oublie le froid, j’oublie l’heure tardive, j’oublie que demain je risque d’être l’ombre de moi-même au travail… J’oublie tout car le ciel, lui, s’éveille sous mes yeux.

 

Il m’est difficile de mettre des mots sur les sentiments qui m’envahissent devant une aurore boréale. Aucun mot ne peut décrire la magie du phénomène… Alors, le regard vif, je regarde tout autour de moi, à l’affût du moindre mouvement dans le ciel.

 

« Si longue que soit une nuit d’hiver, le soleil la suit. », proverbe touareg.

 

HistoiresExpatriéesCet article participe au RDV #HistoiresExpatriées organisé par Lucie du blog L’Occhio Di Lucie. Chaque mois, aux alentours du 15, des blogueurs expatriés aux quatre coins du monde se retrouvent autour d’un thème imposé, pour échanger des anecdotes sur la vie hors de leur pays natal. J’ai tout de suite adoré le concept alors me voilà 🙂
Mars 2018 : Ma ville/mon pays, la nuit – Marraine : Lucie.

8 réflexions sur “Les nuits yukonnaises

  1. Toujours aussi bien écrit et documenté par des photos magnifiques.
    Avec Cathy, nous gardons tous ces beaux textes de toi, dans un dossier.
    Nous adorons te lire, et nous attendons avec impatience de nouveaux récits.
    Nous te faisons pleins d’énormes gros bisous 😘😘😘😘😘.
    Nous t’aimons très fort.
    À bientôt 👋 nôtre nièce canadienne.
    😍😍😍😚😚😚😚❤️❤️❤️❤️❤️💕

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    1. Merci d’être toujours aussi fidèles au poste, Willy & Cathy. Je vais essayer de continuer à vous faire rêver et à écrire de mieux en mieux… Qui sait, un jour peut-être, j’en ferais un livre…
      Gros bisous à vous deux !

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  2. Tu sais, j’ai passe neuf ans en Finlande, puis je suis revenue ici apres deux ans en Hongrie. Et bien que j’habite a Helsinki, le noir me n’affecte pas trop non plus. Je connais juste Toronto et je n’ose meme pas dire Montreal, mais j’aime vraiment lire ton blog!

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