Un nouveau quotidien

 

La quiétude est cependant de courte durée, le silence se rompt dès que je m’approche des harnais…

 

C’est leur façon de montrer leur « will to go », leur envie de travailler. Ils sont cinquante, et pourtant, seuls quatorze seront pris pour le premier tour. Et ils le savent très bien ! Dès que je mets un pied dans le chenil, la laisse à la main pour les amener à la stake out, les aboiements redoublent d’intensité, comme pour me dire « Choisis-moi, choisis-moi ». Ils connaissent la routine : l’opération va se répéter encore treize fois. Alors, quand ils comprennent que le moment n’est pas encore venu pour eux, ils se modèrent quelque peu. L’élu, lui, montre sa joie : il piétine d’impatience, puis bondit dans tous les sens, si bien que j’ai du mal à lui mettre sa laisse et à le détacher de sa chaîne. Une fois au bout de la corde, il tire sans relâche (la plupart du temps, je le soupçonne de vouloir m’arracher le bras), dans les allées du chenil afin de montrer au reste de la meute, que cette fois-ci, c’est lui le gagnant de la loterie.

Ce qu’ils ne savent pas, par contre, c’est qu’il ne s’agit pas d’un hasard si c’est un tel qui vient aujourd’hui. La veille, devant son cahier d’entraînements, Marcelle a minutieusement préparé les attelages, en gardant à l’esprit, les qualités de chacun, leurs affinités au sein de la bande, et surtout, en surveillant qu’aucun ne reste à la traîne en terme de kilomètres parcourus. Pendant ce temps-là, je l’observe attentivement, j’apprends et je comprends pourquoi ces combinaisons-là, et pas d’autres. Certains de ses chiens ne feront que du tourisme, les autres se préparent déjà à fouler les pistes des grandes courses de traîneaux, dès cet hiver, ou dans les années à venir : Marcelle a le rêve, peut-être un peu fou, de réaliser, la même année, l’Iditarod et la Yukon Quest, les deux plus mythiques courses de tous les temps.

Une fois la team au complet à la stake out, le calme retombe sur le chenil. Ceux restés à leur niche gardent leur énergie pour le « tirage » du second seize kilomètres ; ceux sélectionnés, eux, conservent leurs forces pour ce qui les attend. Ils restent sagement à leur place, quasiment immobiles, et se laissent facilement manipuler pour leur mettre les harnais (rappelez-vous, tous, sauf Eagle…). Quand tous les chiens sont munis de leur « bleu de travail », nous nous rapprochons des deux leaders(1) pour commencer la mise à l’attelage et la cohue reprend de plus belle autour de nous. L’excitation est à son comble, chacun le montrant à sa manière : sauts, jappements, chicanages avec son voisin ou encore mordillements de la ligne de trait. Ils sont prêts, il n’y a plus qu’à donner le signal du départ, ce que fait Marcelle avec son « Readyyy ». L’équipe, dans un silence presque irréel, s’élance alors sur le chemin.

Toute cette « routine » devient leur quotidien à partir de septembre, moment où les températures matinales commencent à se rapprocher de zéro. Le lendemain de mon arrivée, soit le 19 septembre, il faisait déjà -5° au réveil (et ce n’est rien comparé au -13 actuel…).

Cette routine est devenue mienne. Non pas que je tracte le quad, un harnais sur le dos, mais mes journées défilent au rythme de la meute, une certaine forme de sérénité grandissant au fond de moi…

 

« En travaillant avec des animaux, j’ai appris beaucoup de choses sur moi-même. », Jean-Jacques Annaud.

  

(1) Chiens de tête, comprennent les ordres et supportent la pression de l’attelage.

6 réflexions sur “Un nouveau quotidien

    1. Merci Olivier ! En effet, je suis bien loin d’une vie de bureau… et cela ne me manque pas du tout ! Vivre presque déconnectée de tout me permet de me recentrer sur l’essentiel ! Courage à toi pour le boulot !!

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